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LES JUIFS ET LA NOUVELLE-FRANCE, essai de Denis Vaugeois

par Victor Teboul
Ph.D. (Université de Montréal), Directeur, Tolerance.ca®

Article paru dans le Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec. (1)

PUBLIÉ en 1968, Les Juifs et la Nouvelle-France de Denis Vaugeois constitue sans doute la première étude historique contemporaine sur la présence juive au Québec antérieure à la Conquête. Si plusieurs historiens québécois, tels Benjamin Suite ou Gérard Malchelosse, se sont penchés dans le passé sur la participation des Juifs à la vie québécoise, aucun ne leur avait consacré une recherche aussi poussée.

Conscient de la nouveauté de cette étude, l'auteur offre maints éclaircissements au lecteur non averti, par exemple, les subtilités qui disntinguent les deux grandes branches du judaïsme, à savoir la tradition ashkénaze et sépharade, distinction qui remonte, on le sait, du moins pour ces derniers, à l'expulsion d'Espagne en 1492.

Les premières pages de l'ouvrage constituent ainsi une sorte de glossaire permettant de mieux connaître certains attributs culturels et cultuels des Juifs québécois. L'auteur révèle, par ailleurs, la grille d'analyse employée afin d'identifier le Juif dans les archives, — tâche «difficile», avoue-t-il, entre toutes. Ce préambule contient un exposé sur l'origine des patronymes chez les Juifs ainsi qu'une tentative de répondre à l'éternelle question «Qu'est-ce qu'un Juif ? »

Vaugeois consacre un chapitre entier à l'ouverture de l'Amérique du Nord aux Juifs. Pourtant, il montre bien aussi comment la Nouvelle-France leur demeure imperméable jusqu'à la Conquête. L'interdiction qui pesait sur les Juifs (et les Huguenots) et l'impossibilité pour eux de s'établir dans la jeune colonie auraient pu susciter des doutes quant à l'utilité de consacrer une étude sur leur «absence». L'attitude de la France à l'égard des Juifs s'est maintenue, selon l'auteur, «jusqu'à la Révolution de 1789, et rendit à peu près impossible l'établissement des Juifs dans l'Amérique française».

Certaines naïvetés, par ailleurs, émaillent le texte et révèlent la difficulté que l'auteur éprouve à se défaire de certaines idées reçues. Ce tiraillement donne lieu à des contradictions inévitables. Ainsi l'ouvrage débute par un avant-propos qui prévient le lecteur de ne pas chercher de relation causale entre une participation juive quelconque et la défaite de la Nouvelle-France. Pourtant, le deuxième chapitre s'évertue à trouver un rapport direct entre la chute de la colonie et le rôle qu'aurait joué une influente famille d'armateurs juifs. Les Gradis n'approvisionnent nullement la colonie par esprit de patriotisme, soutient l'historien, qui pose d'emblée la question prévue : « Est-ce patriotisme que de rechercher éperdument l'occasion de faire un négoce lucratif ? » écrit-il en citant la correspondance d'Abraham à Moïse Gradis.

La même idée revient avec insistance à propos d'autres fournisseurs, ceux de l'armée britannique, par exemple, les Franks. « N'est-il pas exact que les Juifs ont profité de la Guerre de Sept Ans ? » se demande-t-il. « C'est évident et nul ne songerait à le nier. Il y en a même des deux côtés : les Gradis et les Franks », affirme-t-il on ne peut plus catégoriquement.

L'étude fait penser à celle de Raymond Douville, Aaron Hart, parue en 1938. Dans cet essai biographique, on sait quelle fascination quasi diabolique avait exercée sur ce dernier la richesse accumulée par cet influent homme d'affaires trifluvien.

Jusqu'à la fin de son ouvrage, l'auteur des Juifs et la Nouvelle-France demeure fidèle à une idée dont il s'est par la suite appliqué à minimiser les effets. Citons ce passage : « Au moment où la Nouvelle-France cesse d'exister, au moment où on crée la province of Québec, des Israélites habiles et entreprenants sont déjà bien en place et prêts à tirer parti de la situation, c'est-à-dire involontairement à servir la cause du vainqueur. »

Depuis la parution de ce premier ouvrage, qui était à l'origine une thèse de maîtrise, Vaugeois a eu l'occasion de parfaire ses connaissances de la judéité québécoise. Bénéficierons-nous éventuellement d'une deuxième étude, aux intentions aussi sérieuses sur l'histoire des Juifs du Québec après la Conquête? Le Fonds Hart, mine d'informations encore inexploitée, permettrait véritablement, cette fois-ci, d'explorer leur présence.

Victor Teboul

LES JUIFS ET LA NOUVELLE-FRANCE, Trois-Rivières. Les Éditions Boréal Express. [1968]. 154p.
 

(1) Les Juifs et la Nouvelle-France, essai de Denis Vaugeois, article paru dans Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, sous la direction de Maurice Lemire, Fides, 1984, tome IV, pp. 491 - 492.

Photo : fr.wikipedia.org

Note

J'ai avisé les responsables du Dictionnaire en 1999, alors que je leur transmettais l'article («Ce qu'on dit des Juifs en 1889, essai de Marc Angenot») rédigé à leur demande et paru dans le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec (tome 7, Fides, 2003, p.116), que dans la version imprimée de l'article ci-dessus, on m'a attribué l'emploi d'un mot que je n'ai jamais écrit dans la version que je leur ai remise. On trouvera copie de cette lettre ICI.

Voir aussi Les Juifs du Québec : In Canada We Trust. Réflexion sur l'identité québécoise 



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Les Fêtes de la Nouvelle-France près de la place Royale dans le Vieux-Québec

Par Soda12 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5251036




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